Le tiers-payant généralisé : une FBI (Fausse Bonne Idée) (1 sur 3)

Emilie Montfort est une jeune médecin généraliste remplaçante dans le Nord de la France. Elle explique avec des mots simples son inquiétude et sa colère face à la mise en place du tiers-payant généralisé. Elle écrit une lettre à Marisol Touraine pour lui montrer combien sa réforme va perturber l’exercice de son métier au quotidien. 

« A Mme Touraine, Ministre de la Santé,

Voici concrètement ce qui se passera lors de mes consultations quand votre loi de Santé sera effective.

Tout d’abord, je vous informe que, si j’ai fait médecine, c’est parce qu’à la base, je suis nulle en maths, et qu’en plus, je suis comme votre ex-collègue Thévenoud, je suis phobique administrative (mais à sa différence, je paie quand même mon URSSAF, ma CARMF, mon assurance prévoyance, ma mutuelle, mon assurance retraite, ma responsabilité civile professionnelle, le secrétariat, le loyer, l’eau, l’électricité, le gaz, la femme de ménage, les frais de ma voiture, mon assurance auto, mon gasoil, mes frais papiers, mes timbres, et plus personnellement ma nourrice, ma femme de ménage, mon prêt de la maison…mais pas mon kiné puisque c’est mon mari).

Il y a donc tromperie sur les études, j’ai fait 10 ans d’étude de médecine pour être médecin généraliste, puis un Diplôme universitaire d’homéopathie (2 ans), puis un Diplôme inter-universitaire de formation complémentaire en gynécologie-obstétrique (1 an), mais je n’ai fait aucune année de comptabilité, aucune année de droit.

Ensuite, si je comprends bien, lorsque je recevrai mon patient, je ne lui demanderai plus : « qu’est-ce qui vous amène », mais « avez-vous votre carte vitale, votre attestation de mutuelle et votre attestation de sécurité sociale, ce qui fait déjà 2 papiers à demander puis la carte vitale. Si le patient possède tous ces documents (je suis déjà emmerdé pour ¼ des patients, qui auront perdu/oublié ces papiers, ou qui, puisque ce sera gratuit, viendront sans car ce ne sera plus leurs problèmes).

Puis, je vérifierai sur mon ordinateur que les données administratives du patient sont à jour, si pas à jour, je compléterai les informations administratives dans leur dossier médical informatisé, je scannerai ces documents, puis je vérifierai quand même sur le site ameli.fr, site de la sécurité sociale souvent en panne (vous remarquerez que j’ai fait un pléonasme), si le patient a bien envoyé sa déclaration de médecin traitant (encore ¼ des patients) ce qu’il ne fera plus puisque cela ne le concernera plus), sachant que s’il ne l’a pas fait, je saurai que de toute façon, je pourrai m’asseoir sur mes 23 euros brut, puisque je serai punie par la sécurité sociale de ne pas avoir forcé le patient à envoyer sa feuille de déclaration à sa caisse.

Donc, si le patient n’est pas arrivé en retard (3/4 de mes patients sont à l’heure), s’il a ramené tous ses papiers et sa carte vitale, si les informations sont correctement remplis dans son dossier, si ameli.fr n’est pas en panne, si mon patient a bien déclaré son médecin traitant, 10 à 12 minutes sont déjà écoulées, il me reste donc 3 à 4 minutes à l’interroger, à l’examiner et à lui prescrire un traitement médicamenteux ou autre. Vient enfin le paiement de 23 euros, enfin plutôt le non paiement du patient, mais le paiement de 16.10 euros que la caisse me devra non pas le jour même mais plus tard, et 6.90 euros que sa mutuelle me devra aussi, non pas le jour même, mais plus tard.

Ca, c’est pour un patient qui a tous ses papiers, et aussi qui n’a pas trop de problème de santé, ou ça va vite, car s’il vient pour un problème plus grave, ou qu’il a besoin de me parler, je ne sais pas si je vais accepter de passer un heure en consultation avec lui, si, en plus, je sais que je vais avoir des difficultés à me faire payer. Mais, comme j’ai de l’empathie et de la conscience professionnelle, je le ferai quand même.

Cela je vais le faire 30 à 40 fois/ jour, 5 jours et demi/semaine, donc moins de soins, et plus de paperasses. Je ne sais pas encore comment il faudra faire pour les visites, puisque je n’emmène pas mon ordinateur avec moi, ni mon scanner.

Ca, c’est la partie administrative la plus facile.

suite …